J’avais 13 ans lorsque le scandale du DES éclata. A l’aube de ma vie de femme, j’avais intériorisé mon choc face au regard lourd d’anxiété de ma mère : après les deuils jamais faits de ses anciennes fausses-couches, voilà que l’hormone de synthèse à laquelle j’étais censée devoir une part de mon existence s’avérait ne m’avoir en réalité qu’abîmée, plongeant du même coup ma mère dans une culpabilité qui ne devait jamais disparaître…
J’avais noté en cachette le nom d’un professeur interviewé dans un article du Reader’s Digest auquel mes parents étaient abonnés, et m’étais tue. Etudiante à Paris, j’avais rencontré ce professeur à l’hôpital Antoine Béclère de Clamart – homme dont la douceur et l’humanité me rassurèrent et me marquèrent en profondeur, jusqu’à ce jour. Après chaque déménagement je demandais le nom d’un spécialiste auprès de qui me référer sur place, et c’était tout, conservant mes craintes au fond de moi-même.
A 13 ans j’avais plus ou moins inconsciemment pris la décision de ne jamais avoir d’enfant : impossible de vivre à mon tour les cauchemars de ma mère, impossible également de faire porter à un enfant obtenu après d’éventuelles fausses-couches le poids psychologique post-deuils qui avait été et demeurerait sans doute à jamais le mien.
J’avais 30 ans et vivais à Nantes lorsque j’entendis parler pour la toute première fois de l’association Réseau D.E.S. France : un ami m’avait appris avoir collé des affiches quelques années plus tôt à l’université pour informer les étudiantes des risques du DES.
Il m’avait parlé d’Anne Levadou, dont j’avais soigneusement noté les coordonnées dans mon répertoire, sans suite.
Les années passant, même en périodes de vie affective des plus instables, il y eut alors les injonctions de plus en plus pressantes de certains gynécologues d’avoir un enfant, l’une m’expliquant même que les foetus perdus feraient « le nid » de celui qui tiendrait… Soulagée que mon adénose régresse puis disparaisse, inquiète néanmoins de mon col très serré et autres petits soucis, il fallut attendre qu’Internet entre dans mon domicile pour que j’aille faire un tour, du bout des doigts (pour ne pas dire sur la pointe des pieds) sur le site du Réseau DES France.
Une fois adhérente, je lus certes très attentivement les documents reçus, conservant les revues trimestrielles dont le sujet pouvait me concerner de plus près, mais tentais de tout oublier une fois les pages refermées avec une grosse inspiration/expiration, à la fois par peur, mais aussi l’esprit préoccupé par d’autres soucis plus immédiats (les « aléas thérapeutiques » et autres scandales médicaux semblent avoir marqué mon destin).
J’ai continué d’éviter soigneusement d’aborder le sujet DES avec ma mère, jusqu’à l’Etude 3 générations : à ma grande surprise elle accepta immédiatement d’y répondre et le fit à plus de 80 ans toute seule sur internet, consignant apparemment des dates et détails que je n’ai jamais osé lui demander.
Lorsque je reçus le mail annonçant les rencontres de l’association pour ses 20 ans, je n’ai pu qu’être interpellée : Toulouse faisait partie des 5 villes citées, la rencontre se tenait à proximité de mon domicile, et l’intervenante n’était autre que la personne qui avait si gentiment et patiemment échangé avec moi par mail depuis 8 ans…
Mon ami accepterait-il éventuellement de m’accompagner ? Oui ! Plus rien ne me retenait donc ce 14 juin 2015…
Toujours vaguement angoissée par le sujet (mais tentant de me convaincre encore et toujours que je n’étais pas totalement concernée, ayant réussi jusque-là à passer entre les gouttes), j’avoue avoir pensé ne faire qu’un saut, dans le courant de l’après-midi, juste pour me présenter afin qu’un visage soit mis sur mon nom, et surtout remercier l’association pour toutes les aides reçues, tout le temps qui m’avait déjà été longuement consacré. J’imaginais faire cela au fond d’une pièce, en toute discrétion, puis filer à l’anglaise sans être remarquée des autres participant(e)s…
Mais mon ami et moi-même fûmes accueillis à bras ouverts par le petit groupe que nous interrompions pourtant par notre retard. Intérieurement confuse, je me suis assise tout étonnée, entourée de regards bienveillants et chaleureux.
Un peu gêné quant à lui en tant qu’unique homme, craignant d’interférer au sein de confidences intimes, mon ami pouvait-il rester ? Mais bien sûr ! Et je l’ai senti d’un coup se détendre. Lui qui, en 11 ans, n’avait entendu parler du Distilbène que par bribes (quelques phrases lancées à la va-vite tous les 3 ou 4 ans pour ne pas « en rajouter une couche » sur nos soucis divers), d’un seul coup le DES leva pour lui son voile de mystère.
Cette rencontre informelle et son ambiance si conviviale me mirent tellement à l’aise que je parvins même à échanger un peu, moi qui reste habituellement muette au sein de groupes excédant 3 personnes inconnues… D’âges divers (une « mère DES » était présente), certaines ayant mis plus d’une heure de route pour se joindre au groupe, c’est comme si nous nous étions déjà un peu connues, heureuses d’échanger, de façon calme et profonde à la fois. Je fus pour ma part bien sûr impressionnée par ces parcours de vie auxquels j’avais en partie échappé par mon refus de la maternité, tout en sachant mon sort actuel précaire au regard de tous les autres risques.
De précieux conseils nous furent promulgués pour déclarer les conséquences du DES auprès de l’ANSM, chacune put poser des questions personnelles, nous échangeâmes des noms de médecins sur Toulouse, nous promîmes de faire au mieux pour nous retrouver d’ici la fin de l’année autour d’un repas au restaurant. Je suis repartie toujours aussi étonnée et « aux anges », également enchantée que mon ami se soit lui-même senti si « bien »…
Décidément, Réseau D.E.S. France se révélait être une sorte de grande famille… Je suis tout simplement ravie, en plus de me sentir désormais moins seule si jamais…
Merci, mille fois MERCI à toutes et tous.
Léna
* le 14 juin 2015, des rencontres ont été organisées dans plusieurs villes de France pour marquer les 20 ans de l’association.