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Procédures… attention ! Péremption d’instance et prescription d’action : les 2 ennemis jurés de toute procédure.

15 septembre 2015

Deux affaires récentes, étudiées dans le cadre du partenariat national conclu entre la FNATH et Réseau D.E.S. France, doivent être l’occasion d’évoquer des règles procédurales qui peuvent sembler absconses de prime abord, mais qui sont malheureusement déterminantes, s’agissant de la viabilité de procédures judiciaires, à l’encontre de grands groupes pharmaceutiques épaulés par d’importants cabinets d’avocats. En effet, l’incidence d’une éventuelle péremption d’instance peut s’avérer dramatique, a fortiori lorsque le droit à action lui-même est susceptible de se trouver prescrit.

Prescription de l’action en réparation d’un dommage corporel

À l’exception des crimes contre l’humanité, qui sont par nature imprescriptibles, le Législateur a souhaité permettre l’extinction automatique du droit à action de toute victime, de manière à constituer une certaine forme de « sécurité juridique ».

Tel est donc le principe du mécanisme de prescription, qui aboutit à la disparition du droit à agir d’une victime au-delà d’un certain délai, fixé par la loi.

En matière de dommages corporels, l’article 2226 du Code civil (tel que révisé depuis 2008) limite ce délai à 10 ans (il était auparavant de 30 ans).

Particularité : ce délai court à compter de la consolidation (c’est-à-dire la fixation de l’état séquellaire) soit du dommage initial, soit du dommage aggravé (résultant d’une rechute). Rapporté au cas d’une victime d’une exposition in utero au DES, celle-ci dispose ainsi d’un délai de 10 ans pour attaquer le ou les laboratoires qu’elle estime se trouver à l’origine des dommages imputables à cette molécule, à compter de la stabilisation, soit de ses troubles physiques directement en lien avec cette exposition, soit d’une aggravation consécutive à une rechute de son état initial, sous réserve alors que cette rechute soit toujours bien en lien avec son exposition originelle au DES.

Péremption d’instance

Si toute victime dispose d’un droit à action, l’exercice de ce droit devant les juridictions aboutit alors à l’ouverture d’une instance, cette dernière se trouvant elle-même placée sous l’empire de délais législatifs, destinés à éviter l’engorgement de juridictions par des justiciables négligents.

A cet effet, l’article 386 du Code de Procédure Civile (CPC) prévoit que toute instance est périmée lorsqu’aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans.

Ainsi, si une victime saisit les tribunaux afin d’obtenir réparation de son préjudice et s’abstient ensuite de toute autre démarche durant 2 ans, son instance est alors périmée.

Cette péremption peut être soulevée notamment par la partie adverse. Si tel est le cas, le juge est tenu de la constater.

Le constat de la péremption n’est pas sans risques, car il s’accompagne de 2 conséquences qui peuvent s’avérer éminemment fâcheuses :

– la péremption éteint rétroactivement l’instance, sans qu’on puisse jamais opposer aucun des actes de la procédure périmée ou s’en prévaloir (article 389 du CPC),

– les frais de l’instance périmée doivent être supportés par la partie qui a introduit cette instance (article 393 du CPC).

Mise en pratique de ces notions

Dans les 2 dossiers d’adhérentes du Réseau D.E.S. France sur lesquels la FNATH a récemment eu à intervenir, la péremption d’instance a été soulevée dans les 2 cas par les laboratoires mis en cause devant les tribunaux.

Ainsi, dans la première affaire, qui durait déjà depuis plusieurs années devant les juridictions parisiennes, la victime, fatiguée par ces procédures, avait demandé expressément à son avocat de « laisser mourir son dossier », en n’accomplissant plus aucune démarche devant le tribunal.

Bien mal lui en a pris. En effet, arrivé au bout de 2 ans sans action de sa part, le laboratoire poursuivi depuis le début a sollicité devant le juge le constat de la péremption de l’instance et, surtout, son incontournable corollaire, à savoir la condamnation de cette personne à lui rembourser l’intégralité de ses frais de procédure depuis le début du procès…

D’ailleurs, sur cette question, il convient de savoir que la jurisprudence la plus récente de la Cour de Cassation est favorable à cette demande des laboratoires, puisqu’un arrêt du 29 janvier 2015 a rappelé que l’application des dispositions de l’article 393 du CPC s’impose au juge, qui ne peut donc pas décider d’éviter de mettre à la charge de la partie perdante les frais de procédure de la partie adverse (même si cette dernière est bien plus riche).

Dans la seconde affaire, là encore dans une procédure qui durait depuis de nombreuses années, un rapport d’expertise collégiale aux conclusions défavorables à la victime, avait fini par être rendu devant le tribunal.

Pensant gagner du temps, de manière à tenter d’étoffer un peu plus ce dossier, l’avocat de la victime lui avait recommandé de laisser se périmer ce rapport, de manière à pouvoir lancer une nouvelle action 2 ans plus tard.

Mauvais conseil s’il en est : le tribunal, tout en constatant la péremption de l’instance initiale découlant de l’absence d’action de la victime durant les 2 ans suivant le dépôt du rapport collégial d’expertise, a considéré que la nouvelle procédure déposée devant lui présentait exactement le même objet que celle qui se trouvait périmée et a donc estimé cette nouvelle procédure irrecevable…

On espère maintenant que le laboratoire ne demandera pas au juge le remboursement de ses frais de procédure…

Conséquences dramatiques

Tel est le danger majeur présenté par la péremption d’instance : croire que l’on peut laisser une procédure engagée à tort ou bien mal fondée « mourir de sa belle mort », sans conséquences.

Tout au contraire, un justiciable ne peut pas se permettre d’être négligent et un procès ne doit jamais être engagé à la légère.

Car, avec la péremption d’instance, ce sont parfois des années de procédure qui peuvent se trouver réduites à néant, avec l’effacement rétroactif qu’elle entraîne.

Plus grave, cette instance disparaissant purement et simplement, il se peut même que le constat de la péremption de l’instance aboutisse ensuite à celui de la prescription de l’action.

En effet, si une victime saisit correctement la juridiction dans les 10 ans à compter de sa consolidation, mais si la péremption est acquise au-delà de ces 10 ans, l’effacement rétroactif de l’instance aboutit à ce que cette personne se retrouve désormais au-delà du délai de prescription décennale, rendant désormais impossible toute action judiciaire pour réparer son dommage…

Ces 2 affaires, que l’on espère être des cas exceptionnels, illustrent dans tous les cas l’intérêt primordial qu’il y a toujours, d’une part, à bien étudier en profondeur les chances de succès de tout recours avant de l’engager et, d’autre part et surtout, à bien s’assurer, une fois une procédure lancée, du respect des délais légaux pour en garantir la pérennité.

Un procès en justice n’est ni un jeu, ni un lancer de roulette au casino : c’est une affaire éminemment sérieuse, avec des conséquences parfois gravissimes pour la partie qui s’en trouve à l’origine, à plus forte raison lorsque la sauvegarde des intérêts d’un enfant handicapé peut être impactée par la procédure en question, comme cela est le cas dans certains dossiers DES.

Fabrice GROUT,

Directeur juridique national de la FNATH