Témoignages : Filles DES

PREMATURITE : UN TEMOIGNAGE…

10 juin 2011

***10 juin 2011

tags prématurité, grossesse, association, séquelles, petits-enfants DES, filles DES 

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Lorsque notre enfant est né voici presque 13 ans, à 5 mois de grossesse, en conséquence de mon atteinte utérine par le D.E.S, il n’existait pas en France d’association de parents d’enfants prématurés. Pas de « même » auprès de qui trouver un écho tolérable… L’hôpital accueillait pour la première fois un nouveau-né aussi prématuré. Personne en ce lieu ne nous avait encore précédés sur ce chemin.

Cette traversée hospitalière de quatre mois et une semaine fut difficilement partageable. 

Je me souviens de me redire à moi-même, comme pour mieux synthétiser ce que je vivais : « je suis en état de guerre, mais dans un pays en paix… je vis la guerre dans un pays en paix ». Nous pouvions par exemple arriver auprès de la couveuse, il était bien, repartir déjeuner et au retour, nous apprenions qu’il avait peut-être contracté une méningite et que le cerveau était peut-être déjà irrémédiablement touché. Je le regardais alors, pétrifiée. La mémoire de ces moments successifs de pétrification… ont participé à me faire prendre un jour, très longtemps après, la décision douloureuse de ne plus avoir d’enfant, mon atteinte par le DES ne m’offrant pas d’alternative à une nouvelle confrontation avec l’extrême prématurité.

Le risque mortel incessant des premiers temps ou qui ressurgissait lors de la survenue d’une énième infection nosocomiale, me plaçait dans un état de vigilance extrême. Je crois avoir eu une « préoccupation maternelle primaire » chère aux psys, démultipliée. Le risque de bascule dans la lésion cérébrale, dans le handicap, est resté jusqu’au bout de l’hospitalisation. Il a été opéré des yeux le jour théorique où il aurait dû naître, car il était menacé de cécité, conséquence de l’oxygénothérapie. C’était un état de guerre. Je passais toutes mes journées à l’hôpital et si j’avais pu, j’aurais planté une tente sur la pelouse de l’hôpital. Une nuit, d’ailleurs, nous avons été appelés en urgence, ils n’étaient pas sûrs qu’il allait vivre. Entérocolite ulcéronécrosante. Chaque jour, je tirais mon lait. Hormis la question de l’immaturité, il n’aurait pu, ne serait-ce que saisir le sein, tant sa bouche était petite. Je me sentais obscène de seins soudain gargantuesques. Hallucinant décalage corporel…

L’autre insupportable, dans l’acuité de la confrontation à l’extrême prématurité, résidait dans la banalisation ou le pseudo-savoir du quidam informé de notre situation : « aujourd’hui, les prémas s’en sortent bien », « moi je connais un adulte, ex-préma de 6 mois, aujourd’hui il est fort comme un chêne » et même l’indécente injonction : « fais confiance »… Celle-là qui me disait si facilement « fais confiance », je la retrouvais quelques semaines plus tard, envahie d’angoisse à l’idée que son adolescent se fasse enlever un simple petit kyste graisseux sous la peau… 

Notre qualité « d’experts » en tant que participants premiers d’une situation « extra-ordinaire » nous était ainsi souvent déniée, mise à mal. Ma guerre n’était pas partageable. Moi, la mère, je me tenais debout tout contre une couveuse où reposait mon enfant dont la tête était grosse comme une balle de tennis et dont l’entièreté de la main tenait en totalité sur la première phalange de mon pouce. Et cet enfant-là avait fait une importante hémorragie cérébrale au 4ème jour de vie, le matin même de la fête des mères… 

Un journaliste un jour m’a fait du bien. Il m’a dit qu’au bout de trois jours d’un reportage en réanimation néonatale, il ne tenait simplement plus en ce lieu… Celui-là avait approché la part d’insoutenable.

Après la sortie, a commencé un chemin « hors murs hospitaliers, seuls témoins intimes de nos traumatismes», chemin parsemé d’incertitudes, avec la poursuite de questionnements, notamment sur sa motricité, auxquels s’ajouteront plus tard ses retards langagiers, son être en mouvements et déplacements incessants. Les visites hebdomadaires à domicile du kiné du CAMSP(1) et un an plus tard, en plus, les visites de sa première orthophoniste. Le souvenir de leur bienveillance, de leur délicatesse. Les réponses prudentes du médecin rééducateur : « vous savez, il a fait la guerre de Verdun… ». Les encouragements de sa première psychologue. 

Le CAMSP étant limité à 6 ans, nous nous sommes retrouvés dans la nature et ce, d’autant plus que nous avions dû déménager à l’âge de ses quatre ans. Hors CAMSP, j’ai dû imaginer ce dont mon enfant avait besoin. Aucune borne pour notre chemin, mais des bouts de bornes au fil de nos recherches tenaces. Pas de pédiatre référent spécialiste pour le suivi de sa prématurité : existent-ils vraiment ??? Incroyable mais vrai : j’en entendrai parler pour la première fois voici seulement deux jours, lors d’une communication médicale au colloque de SOS préma du 11 février 2010 ! Mais si j’ai bien compris, leur rareté se déplore… à l’instar du nombre de pédiatres en France…

J’ai fait le compte pour cet article : depuis sa sortie de CAMSP, j’ai été amenée à contacter pas moins de 11 corps de métiers médicaux et paramédicaux pour sérier les séquelles de sa prématurité et les prendre en charge correctement. Pour consulter tous les deux mois l’un d’entre eux, nous faisions jusqu’à sept heures de voyage dans la journée. Notre enfant a dû quitter deux fois une école pour inadéquation de l’institution à ses problématiques. J’ai dû aussi me heurter à plus d’un professionnel (médical, paramédical ou de l’éducation, y compris Rased), qui cachait son ignorance des conséquences de la grande prématurité par des conseils inajustés, voire des remarques acerbes ou des interprétations psychologisantes erronées. Beaucoup ne connaissent pas les troubles d’apprentissage – révélation de l’enquête Epipage 1 comme séquelle fréquente des grands prémas – et ne savent pas diagnostiquer ces troubles et encore moins les traiter. J’ai refusé des voies de garage, autant sur le plan thérapeutique que scolaire. A 12 ans, notre enfant a quatre prises en charge hebdomadaires + une AVS, qu’il m’a fallu aller re-réclamer dernièrement jusqu’au bureau du ministre de l’éducation.

Alors une association de parents de préma ? Oui. Cent mille fois oui. Pour que des parents trouvent une écoute ajustée, avertie, et que la mise en commun de leurs « expertises parentales » soit reconnue, entendue pour une meilleure prise en charge de l’enfant prématuré et de sa famille. Merci Charlotte(2) d’avoir choisi ce combat. Je me réjouis d’avance pour les ponts qui pourront être lancés entre nos deux associations.

Isabelle

PS : En conclusion de mon propos, et parce que nous-mêmes avons participé à Epipage 1, je ne saurais qu’encourager vivement tout parent de préma qui naîtra en 2011, à participer dans sa région à la recherche médicale Epipage 2 (suivi longitudinal 0-12 ans).

  1. CAMSP : Centre d’Action Médico-Social Précoce : service qui a pour objectif d’améliorer l’information et l’accompagnement des enfants et de leurs familles dès lors qu’il y a doute ou risque susceptible d’entraîner un retentissement sur le développement de l’enfant.

(2) Charlotte Bouvard, fondatrice de l’association SOS Préma, qui interviendra lors de la matinée du 20 novembre prochain. (Site : SOS Préma.com) : voir n°27 de « la lettre ».