Témoignages : Filles DES

Un parcours violent

27 décembre 2013

Je suis la maman d’une petite fille née à 26 semaines

Ma mère a pris du Distilbène durant sa grossesse, nous avons retrouvé la trace de cette prise grâce à la pharmacie qui avait gardé les ordonnanciers. 

J’ai hérité d’un utérus de petite taille et de difficultés à tomber enceinte. Après un bilan d’infertilité, deux plasties d’agrandissement et des années d’attente, j’ai réussi à tomber enceinte, à 38 ans, en 2004. Cette grossesse tant attendue a été très contrôlée et mon gynécologue m’a arrêtée au 3ème mois de grossesse.

Malgré toutes ces précautions, Emma, ma fille, est née à 26 semaines… Pas eu le temps de faire les piqûres de maturation des poumons, césarienne en urgence, hémorragie et ma fille intubée en réanimation. Elle pèse 1 kg. 

C’était le 3 novembre 2004. 

15 jours d’hospitalisation pour moi. Ma fille est dans un autre service et je ne peux la voir qu’au bout de 2 jours… 

Je peux tirer mon lait pour la nourrir et c’est un petit réconfort pour moi, qui me sens tellement impuissante face à tout ce qui se passe. 

Emma présente plusieurs problèmes liés à la prématurité : immaturité pulmonaire, immaturité cardiaque, insuffisance rénale et deux hémorragies cérébrales de stade 2. 

Elle est à Nîmes mais au fil des jours son état se dégrade, elle ne pèse plus que 800 g au bout de 3 semaines de vie. Nous passons toutes nos journées auprès d’elle, extrêmement inquiets. Mon mari prend un arrêt d’un mois pour être avec moi à ses côtés. 

Elle sera transférée à l’hôpital de La Timone à Marseille, dans la 4ème semaine. Son état est critique. Nous partons également sur Marseille et trouvons à nous loger auprès d’amis. 

Au bout d’un mois à Marseille, son état s’améliore et elle peut enfin être ex-tubée et sortir de réanimation. Elle a deux mois de vie. 

Son état permet un rapatriement sur Montpellier, plus proche de notre habitation. Elle quitte Marseille et entre en soins intensifs à l’hôpital Arnaud de Villeneuve où nous resterons 3 mois. Mon mari a repris le travail. Je loge dans une maison associative qui accueille les parents d’enfants hospitalisés. Mon mari me rejoint deux fois par semaine, après son travail. 

Je peux être près d’elle en permanence. Son évolution restera très chaotique et elle refera un séjour de 3 semaines en réanimation après avoir attrapé un virus. 

Emma rentrera finalement au mois de mars à la maison. Elle est sous oxygène et nous devons retourner tous les 15 jours passer 48 heures à Montpellier, pour contrôler son rythme cardiaque et pulmonaire. Emma restera 7 mois sous oxygène. 

L’urgence vitale étant terminée, nous pouvons nous occuper des problèmes posés par les hémorragies cérébrales. Emma souffre d’une hémiparésie* gauche. Montpellier nous oriente très vite vers le Centre d’Action Médico-Sociale Précoce (CAMSP) d’Alès, où nous habitons. Sous oxygène, et encore très fragile (Emma pèse 2 kg 400 à notre retour à la maison), je ne peux me déplacer seule avec elle (l’appareillage à oxygène nécessitant une organisation difficile dans la voiture). La kiné du CAMSP commence la rééducation à la maison. 

Le retour à la maison est un bonheur innommable, même s’il est hyper médicalisé. Il ne se passe pas un jour sans que je reçoive la visite de quelqu’un : médecin, kiné, infirmière, personne de l’oxygène… Emma dort très peu, elle garde le rythme du réveil toutes les 3 heures. Je peux enfin l’allaiter et elle est très demandeuse. Je suis heureuse de pouvoir profiter de ses moments fusionnels avec elle, cela m’a tellement manqué… 

Notre parcours a été d’une violence difficilement descriptible. Dans l’angoisse permanente de la perdre. La tête dans le guidon pour ne pas penser. Pas de famille proche pour nous épauler. Heureusement, des amis ont pu gérer le matériel, le courrier, la maison où nous ne vivions plus… Grâce à eux, nous n’avions qu’à nous occuper d’être près de notre fille. 

Durant ma grossesse, je participais à un forum sur Magicmaman. Un forum où se retrouvaient des « filles Distilbène » pour échanger sur leur parcours. Ce forum m’a été d’un immense secours. Il m’a permis de parler, régulièrement, de me sentir moins seule face à cette épreuve. J’ai pu échanger avec des filles qui avaient vécu ce parcours de prématurité… 

Je me souviens d’un échange avec Véronique, qui a eu deux garçons nés très grands prémas. Et qui, un soir m’a réconfortée très longuement au téléphone, car Emma était au plus mal et nous craignions le pire. Elle a su trouver les mots pour me redonner confiance et espoir. Après ces échanges, j’arrivais à me mettre dans la tête que d’autres s’en étaient sortis, donc nous aussi on y arriverait. 

L’écriture même de notre histoire me remue encore énormément. 

Nous avons rencontré un personnel hospitalier hors du commun, notamment à l’hôpital de La Timone à qui nous vouons une admiration et une reconnaissance sans borne. 

Ils ont sauvé notre puce… 

A Montpellier, nous avons été très bien guidés quant au suivi d’Emma. Nous étions extrêmement fragilisés, mon mari et moi, lorsqu’elle est rentrée à la maison, incapables de réfléchir à la suite à donner pour elle. Montpellier a pris les choses en main et nous a vraiment guidés dans les démarches à suivre pour assurer ses prises en charge. 

Notre parcours a été très difficile, mais nous avons eu affaire à du personnel hospitalier très compétent. 

Emma a été suivie par le CAMSP (kinésithérapie et psychomotricité) jusqu’à l’âge de 5 ans, à raison de 2 séances hebdomadaires. Sa prise en charge s’est poursuivie en libéral puisque le CAMSP n’intervient pas au-delà des 6 ans de l’enfant.

Elle bénéficie donc d’une séance d’ergothérapie, en alternance avec la psychomotricité et une séance de kiné par semaine. Nous avons un bilan tous les ans, en neuropédiatrie à Montpellier, mais son évolution est excellente. 

Elle éprouve une fatigabilité qui rend difficile l’écriture manuelle, elle doit donc travailler sur ordinateur à l’école. 

Son apprentissage se passe bien. 

Elle est suivie par la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH) depuis le début de sa scolarité. Et nous avons une aide financière pour ses séances de psychomotricité et d’ergothérapie, qui ne sont pas prises en charge par la caisse d’assurance maladie, contrairement à la kinésithérapie. 

Emma a aujourd’hui 9 ans. Elle va merveilleusement bien. Elle n’a aucune séquelle visuelle, ni auditive. Elle n’a pas non plus de séquelles intellectuelles. C’est une petite fille pleine de vie épanouie, qui n’est pas du tout angoissée ou introvertie… Bien au contraire ! 

Elle garde une légère hémiparésie* gauche, qui ne se voit pas. Elle peut courir et sauter comme les autres enfants. 

Il lui manque juste la fluidité du mouvement. Elle fait donc des activités circassiennes plutôt que de la danse ou de la musique, elle fait aussi de la voile et se débrouille très bien ! 

Voilà notre grande aventure qui se termine sacrément bien… 

Valérie 

*L’hémiparésie est un manque de force musculaire touchant la moitié droite ou gauche du corps.