Témoignages : Filles DES

Le handicap allait être très lourd

10 janvier 2014

En 1995, j’ai accouché à 6 mois 1/2 de grossesse. Je ne savais pas que ma maman avait pris du DES. Ma fille pesait 1,4 kg à sa naissance. Une lésion cérébrale est survenue en réanimation, en raison de sa grande prématurité. Après 2 mois d’hospitalisation, les médecins nous ont dit qu’ils ne savaient pas quelles seraient les séquelles suite à cette lésion cérébrale.

A la maison, ma fille avait de nombreux troubles digestifs et pleurait en permanence. Seules les promenades en poussette la calmaient. Son évolution ne correspondait pas à celle d’un enfant de son âge. J’ai découvert seule, mois après mois, que le handicap allait être très lourd.

A 2 ans, elle ne tenait pas assise, n’utilisait pas ses membres supérieurs ni inférieurs, souffrait d’épilepsie, ne parlait pas et pleurait toujours beaucoup. Pendant 2 ans, nous avons mis en place une méthode de stimulation polysensorielle. Trente bénévoles se relayaient à la maison 6 jours sur 7.

Mon mari n’a pas souhaité poursuivre cette méthode et désirait un autre enfant pour reprendre un semblant de vie «normale».

Lors d’un rendez-vous hospitalier, j’ai découvert dans la salle d’attente une affiche sur le Distilbène. J’ai demandé à ma maman si elle en avait pris durant sa grossesse. Sa réponse positive a expliqué cet accouchement prématuré. J’ai tout de même pris le risque d’une deuxième grossesse, même si, au fond de moi, je ne le souhaitais pas. J’avais si peur d’un deuxième enfant handicapé. J’ai pris ce risque pour mon mari. Je suis restée alitée dès le 2ème mois de grossesse et j’ai menacé d’accoucher au 5ème mois. J’ai alors été hospitalisée jusqu’à mon accouchement qui a eu lieu le 1er jour du 7ème mois, en 1999. J’étais tellement angoissée que je n’ai pas voulu choisir le prénom de mon fils. Il pesait 2 kilos à la naissance. Il a suivi le même chemin que sa soeur : réanimation, service néonatal… Il a été hospitalisé 2 mois, mais il n’a pas eu de séquelles graves. Il souffre de dyslexie et de dyscalculie. Mon fils s’est élevé seul. Tout mon temps était consacré à sa soeur, souvent malade, très douloureuse. Je n’ai pas profité de mon fils que je regardais grandir comme s’il n’était pas le mien.

A l’âge de 11 ans, on a implanté à ma fille une pompe à Baclofène. A 17 ans elle a été opérée d’une arthrodèse vertébrale complète. Je me lève toutes les nuits, toutes les 2 heures, pour la retourner. Son état de santé à ce jour : elle ne parle pas, ne tient pas assise, n’utilise pas ses membres inférieurs ni supérieurs, est incontinente, épileptique…

Je travaille pour garder un pied dans cette société. Je me sens souvent une femme «outil», épuisée, dont la vie est rythmée par le travail, où le loisir n’a pas sa place.

Aujourd’hui, ma fille est âgée de 20 ans et mon fils de 17 ans. J’ai retrouvé ce fils que je n’ai pas vu grandir. Je réalise enfin la chance d’avoir cet enfant.

Ma fille est dans un établissement spécialisé en externat, mais celui-ci ne pourra plus l’accueillir au-delà de ses 20 ans. Les listes d’attente en Maison d’Accueil Spécialisée pour adultes sont si longues (une trentaine de personnes sur les listes) qu’il faudra attendre des années ou prévoir un retour à domicile, ce que je ne peux pas imaginer.

Cette expérience de vie est unique, elle est semée de douleur, mais c’est la mienne. Après des années de désespoir, j’ai cette force que l’on ne trouve qu’après une épreuve hors norme.

Ce qui ne tue pas, rend plus fort.

Victoire