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Compte-rendu de la réunion juridique d’information et de débat du 11 mai 2012 à Paris

12 juin 2012

Le 9 juin 2011, Louis et sa famille remportaient une grande victoire puisque, pour la première fois, la justice française reconnaissait les dommages causés par le Distilbène® sur la 3ème génération. En effet, Louis est né prématurément du fait de l’exposition de sa propre mère au Distilbène® in utero. Du fait de sa grande prématurité, Louis souffre de graves séquelles. Il est handicapé à plus de 80 %. 

Les aspects juridiques liés au scandale du Distilbène® sont nombreux. Au cours de cette réunion, plusieurs ont été abordés, et, plus particulièrement : 

  • Les différents procès depuis 21 ans, l’évolution du droit sur ce sujet et plus généralement sur les affaires liées à la santé publique. 
  • La procédure des « filles DES » américaines ayant eu un cancer du sein. 
  • Le partenariat avec la FNATH pour la préparation aux procédures françaises, et
    l’assistance au cours de celles-ci. 
  • La question d’une « action de groupe ».
    Les participants ont ensuite posé leurs questions. 

Les procès depuis 21 ans, leur importance dans la jurisprudence 

(Stéphane Vallégeas, membre du Conseil d’Administration de Réseau D.E.S. France)
Stéphane Vallégeas, après avoir présenté les différents intervenants lors de cette réunion, a établi un historique concernant les différentes procédures engagées devant les tribunaux en France par les victimes du DES contre les laboratoires ayant commercialisé ce médicament, depuis 21 ans.
Cet historique permet de nous montrer combien l’ « Affaire Distilbène® » a été, jusqu’à présent, un moteur de l’évolution du droit et un point d’appui marquant pour l’évolution de la pharmacovigilance.
Nous sommes en présence de cas juridiques et judiciaires particuliers puisque les dommages causés ne touchent pas les personnes qui ont pris ce médicament, mais leurs enfants et/ou petits enfants. Ce qui est inédit. Par ailleurs, les dommages causés ne se révèlent pas à la naissance, mais des années plus tard, voire des décennies. Ce délai entre la prescription et la révélation des malformations et pathologies pose le problème de la preuve. A cela s’ajoutent les difficultés pour mettre en évidence le lien de causalité entre l’exposition in utero et les malformations et pathologies dont sont victimes ces enfants et petits enfants. 

Rappelons que le DES est une molécule qui a toujours été dans le domaine public. Elle a été commercialisée en France par 2 laboratoires sous 2 noms différents : le Distilbène® (pour le laboratoire UCB PHARMA) et le Stilboestrol-Borne ® (pour NOVARTIS). Dans d’autres pays, elle a été commercialisée sous des dizaines de noms différents, ce qui rend ces procédures complexes. 

En 1991, deux procédures sont engagées contre le laboratoire UCB PHARMA par deux jeunes femmes souffrant d’un cancer spécifique dit Adénocarcinome à Cellules Claires (A.C.C.). 

Il s’agit d’une procédure au civil et non au pénal. Il ne s’agit donc pas de chercher la condamnation des laboratoires, mais de faire reconnaître leur responsabilité pour les préjudices qu’elles ont subis, en vue d’obtenir une indemnisation. 

Septembre 1994 un premier jugement du Tribunal de Nanterre est rendu. Ce jugement n’a pas statué sur le fond, mais a ordonné 2 expertises : 

  • l’une sur le lien qui existe entre l’exposition in utero au Distilbène® et le cancer ACC 
  • l’autre, médicale, sur l’état des connaissances relatives aux effets du Distilbène® avant la
    naissance des plaignantes. 


En 1999, le rapport d’expertise est rendu, soit 8 ans après le début des procédures. Il sert toujours de base pour toutes les procédures actuelles. Il démontre 2 points :
• La littérature scientifique antérieure à la naissance des plaignantes aurait dû permettre l’arrêt de la prescription du Distilbène® durant les grossesses.
• L’exposition au Distilbène® in utero est un facteur majeur de cancer A.C.C..
Cependant, chaque dossier est particulier. Aussi est-il primordial que chaque plaignante fasse l’objet d’une expertise individuelle, qu’elle apporte la preuve de son exposition in utero au Distilbène® et que cette exposition est bien la cause du préjudice qu’elle subit. 


En 2002, dans son jugement du 24 mai, le T.G.I. de Nanterre reconnaît pour le 1ère fois la responsabilité du laboratoire U.C.B. PHARMA, en déclarant : « la preuve du rôle causal du Distilbène® auquel…(les requérantes) ont été exposées in-utero…est ici rapportée par présomptions graves, précises et concordantes suffisantes. ».
Le laboratoire fera appel de ce jugement


En novembre 2003, un nouveau jugement est rendu dans le même sens pour 2 autres cas de cancer A.C.C.. 

En novembre 2004, le préjudice d’une cinquième jeune femme souffrant de ce même cancer est reconnu par le Tribunal. Malheureusement, cette jeune femme décédera des suites de sa maladie, quelques jours après la plaidoirie, sans même connaître les termes de son jugement


En février et avril 2004, la Cour d’Appel de Versailles confirme les jugements du Tribunal de Nanterre et retient une série de fautes. La notion de faute est essentielle. Il s’agit notamment de la faute du maintien d’un médicament dont l’inefficacité et la nocivité étaient pourtant connues depuis 1953. 

Le laboratoire continue sa bataille juridique et se pourvoit en cassation. 

Le 10 Juin 2005, le TGI de Nanterre condamne cette fois-ci le laboratoire à indemniser 3 autres jeunes femmes souffrant du cancer A.C.C. mais également, et pour la première fois, 5 jeunes femmes souffrant, elles, de stérilité

Le 7 mars 2006, soit 15 ans après le début de la procédure, la Cour de Cassation rejette les pourvois du laboratoire. Ces deux arrêts sont essentiels, car ils inscrivent définitivement dans le Droit, non seulement le lien de causalité entre l’exposition in utero au Distilbène® et le cancer spécifique A.C.C., mais aussi la faute des laboratoires dans leur manquement à l’obligation de vigilance. 

Le 10 avril 2009, le TGI condamne le laboratoire UCB PHARMA à indemniser deux enfants nés prématurément du fait d’une malformation de leur mère qui avait été exposée in utero au DES, et souffrant alors de séquelles liées à leur prématurité. Ce sera le premier jugement rendu concernant les effets néfastes du Distilbène® sur la 3ème génération. Il s’agit notamment du dossier de Louis. 

La Cour d’Appel confirme ce jugement, le 9 juin 2011, et reconnaît, ainsi, les conséquences du D.E.S. sur la 3èmegénération.

Le 24 septembre 2009, la Cour de Cassation rend un nouvel arrêt inscrivant définitivement dans les règles de droit 2 grands principes, qui s’appliqueront à d’autres procédures : 

  • le cancer spécifique qu’est le cancer A.C.C., sur la base d’une expertise médicale, est une preuve suffisante de l’exposition in utero au DES. Ce cancer rare, était observé auparavant chez des femmes âgées. On estime que 60% des cancers A.C.C.,sont en lien avec l’exposition in utero au DES. 
  • l’inversion de la charge de la preuve. A partir du moment où une plaignante peut démontrer qu’elle a été exposée au DES, c’est désormais au laboratoire de prouver que ce n’était pas son médicament qui avait été prescrit à la mère et non à la plaignante de prouver que sa mère avait pris tel ou tel médicament. 

Cela signifie que les plaignantes peuvent attaquer les 2 labos, tant qu’elles prouvent le lien de leur exposition avec le préjudice qu’elles subissent. 

La Cour de Cassation, le 28 janvier 2010, confirme son propre arrêt de septembre 2009. Les plaignantes peuvent donc désormais assigner les deux laboratoires si elles ne connaissent pas le nom du produit prescrit à leur mère, sous réserve, toutefois, qu’elles apportent la preuve de leur exposition. 

Les décisions rendues ne sont pas toujours favorables aux plaignantes. 

D’ailleurs, le même jour, le 24 septembre 2009, l’une d’elles est déboutée au motif de ne pas avoir établi le lien entre son exposition au DES et son cancer ACC. Elle n’avait pas pu obtenir d’expertise médicale ; cette absence d’expertise médicale n’a pas permis de faire appliquer le principe énoncé supra et a donc profité au laboratoire. Cette fois-ci, les juges suprêmes ont considéré que la plaignante se trouvait dans les 40 % de cas de cancers ACC dont la cause n’est pas liée au DES. 

En 2011, une autre plaignante a perdu en appel. Elle est condamnée à rembourser à UCB PHARMA l’indemnisation que lui avait attribuée le TGI. Tant qu’elle n’aura pas remboursé cette somme (26 000 €), elle ne pourra pas se pourvoir en cassation. 

Le 6 octobre 2011, la Cour de Cassation rend un nouvel arrêt défavorable à une jeune femme, au motif qu’elle n’apportait pas la preuve de son exposition in utero et qu’elle souffrait de pathologies dont les causes pouvaient être étrangères au DES. En l’espèce, elle avait un utérus bicorne et avait subi une série de fausses couches. 

Cet arrêt est analysé plus précisément infra. 

Il y a donc eu des avancées très significatives dans le cadre de ces procédures, mais il faut reconnaître que seuls les dossiers présentant les atteintes les plus graves ont favorablement abouti, après une procédure longue et douloureuse (entre 5 et 15 ans). 

Ces différentes procédures mettent surtout en exergue l’importance, la nécessité de produire des documents sources (ordonnances, extraits des registres des officines de pharmacie…). 

La notion de consolidation 

Se pose également le problème de la consolidation. La date de prescription en droit français est de 10 ans à compter de la date de consolidation du dommage (c’est-à-dire la date retenue par un médecin marquant la stabilisation de l’état de la victime). 

Cette date est différente d’un dossier à l’autre. Parfois, il sera retenu la date de l’expertise, ou celle du 20èmeanniversaire des enfants nés prématurément … 

Toute procédure ne saurait être engagée sans s’être assuré, au préalable, que le dossier soit suffisamment solide. L’avis d’un juriste est primordial. 

C’est l’un des rôles de la FNATH : offrir cette expertise juridique à ses adhérents. 

Sur l’action judiciaire menée aux U.S.A., par des « filles DES » souffrant d’un cancer du sein

(Nathalie Lafaye, secrétariat de Réseau D.E.S. France) 

Cinquante-trois jeunes femmes « filles DES » qui ont subi un cancer du sein ont engagé une procédure individuelle conjointe. 

Le cancer du sein n’étant pas une pathologie dite « signature », c’est-à-dire pas une forme de cancer spécifique de l’exposition au DES, cette procédure est particulière et inédite. 

Particularité du système judiciaire américain, la procédure individuelle conjointe est une action qui permet aux plaignants de présenter leurs dossiers ensemble sans être, cependant, dans le système de la « class action » américaine. Ces jeunes femmes ont porté plainte contre 14 laboratoires pharmaceutiques ayant commercialisé le DES entre 1938 et 1971 (environ) aux USA. 

Deux avocats les représentaient, seize défendaient les intérêts des laboratoires. Cela met en évidence, d’une part la crainte des labos de se voir reconnus responsables de ce type de cancer, et d’autre part leur capacité à s’offrir les services de bon nombre de conseils, et sans doute les meilleurs… 

La notion de preuve aux Etats-Unis est différente de la France. De l’avis même des avocats américains, leur « norme légale » n’est pas aussi rigoureuse qu’en France. Ils n’ont pas besoin de prouver que le DES est l’unique cause. Il leur suffit de démontrer que le DES a été un facteur substantiel qui a augmenté le risque de cancer du sein. 

Ainsi, les avocats des 53 femmes ont présenté un dossier composé de deux volets : 

1/ d’une part, un mémoire d’une centaine de pages, faisant état des études américaines qui concluent à l’augmentation du risque de cancer du sein pour les « filles DES » de plus de 40 ans. Ceci correspond aux USA à la charge de preuve dite « plus probable que non probable » : cela est purement statistique et ne suffirait pas à apporter la charge de « cause unique » en France. Néanmoins, c’est une preuve puissante qui peut contribuer à enrichir le faisceau d’indices et de présomptions. 

2/ D’autre part, les 53 dossiers médicaux individuels, établis de préférence par l’oncologue de chacune, et aux termes desquels est relaté de façon précise le parcours médical de la « fille DES ». Chacun de ces dossiers tente d’éliminer les autres causes potentielles de cancer du sein. 

Ainsi, si une femme, n’a pas d’antécédent familial de cancer ovarien ou du sein, si elle a un test génétique BRCA négatif, si elle ne boit pas d’alcool ni ne fume, n’a pas des seins denses, n’a pas reçu d’irradiation dans le sein, n’a jamais utilisé un traitement hormonal substitutif, etc… après avoir écarté ces multiples facteurs aggravant les risques de cancer du sein, l’oncologue peut retenir le risque significatif venant du DES, qui devient la preuve en faveur d’une « causalité spécifique ». 

Concernant la preuve de l’exposition in utero au DES des plaignantes, la justice américaine considère que les dossiers médicaux sont de bonne foi, crédibles. Ainsi, la mention dans le dossier médical portée par le gynécologue : « fille DES », est suffisante. Bien sûr, les malformations caractéristiques du DES constatées dont souffrirait la plaignante, ou la preuve écrite de la prescription de DES sont des éléments encore plus probants, mais ils sont moins indispensables qu’en France. 

Le déroulé de la procédure américaine 

Dans le système judiciaire américain, le juge instruit d’abord les auditions des deux parties pour décider si les plaignantes apportent suffisamment d’arguments justifiant un procès. Ces auditions ont débuté en septembre 2011. 

A ce moment-là de la procédure, les avocats des laboratoires ont plaidé pour le manque de preuves scientifiques quant au lien entre les effets du DES et la survenue d’un cancer du sein. 

Fin janvier 2012, à l’issue de cette période préliminaire, le jugement est rendu. Il précise que les dossiers des 53 plaignantes sont suffisamment solides et justifient la saisine du Tribunal pour que celui-ci ouvre le procès. 

Préalablement à ce jugement, comme il est d’usage aux U.S.A., un arrangement avait été conclu entre les avocats des deux parties : en cas de victoire des « filles DES » à ce stade de l’instruction, elles avaient accepté de négocier avec les laboratoires sur le montant des indemnisations, sans aller jusqu’au procès. 

Suite au dit jugement, les 14 laboratoires ont déposé une Requête de Reconsidération (c’est à dire un appel de la décision), appuyée par un relevé de 50 pages de faits et de conclusions basés sur le Droit. 

La juge a rejeté cette requête et a décidé de superviser le calendrier de médiation entre les deux parties. 

Des négociations se sont ouvertes, pouvant porter, au delà la prise en charge des frais médicaux (n’oublions pas que le système du 100% est français…), sur la création d’un fonds finançant une action d’information auprès des gynécologues et généralistes américains concernant les conséquences du DES et le suivi médical à apporter aux personnes exposées. 

Cette médiation, prévue début avril, n’a pas abouti, et la juge a programmé le début du procès au 7 janvier 2013. 

Sur le partenariat avec la FNATH 

(Arnaud de Broca, Secrétaire Général de la FNATH) 

La FNATH est une association créée en 1921, ayant pour but la défense des personnes accidentées, malades, handicapées et invalides. 

Elle s’est développée, depuis 90 ans, autour de deux missions. D’une part, le conseil juridique individuel (demande d’indemnisation, reconnaissance de droits, aide dans les démarches administratives…) et, d’autre part, la revendication, le lobbying, pour faire évoluer les textes et les pratiques s’appliquant aux personnes concernées. 

Pour remplir ces missions, la FNATH s’appuie sur un réseau, un maillage territorial important, grâce à sa présence dans chaque département, avec près de 1000 sections locales. 

Au niveau départemental, sont présents des juristes confirmés, dont le rôle est d’assister les personnes dans leur procédure en cours, mais surtout, au préalable, dans l’étude de leurs dossiers, avant même qu’elles ne s’engagent dans leur combat judiciaire. 

Ces juristes, peuvent, s’ils le jugent utile, interroger le siège national à Saint Etienne, qui centralise les informations relatives à la jurisprudence et aux procédures en cours. 

Le partenariat avec le Réseau D.E.S. se manifeste par la possibilité pour les adhérents du Réseau de s’adresser à la F .N.A.T.H. de leur département pour obtenir un conseil, un accompagnement juridique sur leurs questions. Les juristes pourront alors évaluer les chances d’aboutir favorablement. 

Il n’y jamais de certitude quant au résultat, mais les juristes de la FNATH, forts de leur connaissance des dossiers DES qui ont favorablement abouti ou pas, permettent d’aider les personnes à constituer un dossier le plus complet possible, et, le cas échéant, de les dissuader de se lancer dans un combat judiciaire qu’elles pourraient ne pas remporter en l’absence de pièces maîtresses. 

La FNATH souhaite s’allier avec notre association Réseau D.E.S. pour nous aider à faire valoir nos revendications et faire évoluer certains points du droit qui nous concernent, élaborer des propositions et les faire valoir auprès des différentes instances nationales. 

La FNATH intervient aujourd’hui auprès des victimes du Médiator®, scandale largement médiatisé ces derniers temps. Elle a été auditionnée par les parlementaires qui se penchent sur cette nouvelle affaire impliquant un laboratoire pharmaceutique qui, manifestement, a manqué à son devoir de vigilance, en continuant à commercialiser un médicament dont il avait, pourtant, connaissance des effets dangereux sur la santé des patients à qui il était prescrit. 

La FNATH profite de cette médiatisation pour rappeler que le scandale du Médiator® est proche de celui du Distilbène®, et que ces deux affaires présentent des similitudes quant aux fautes commises par les laboratoires. 

La FNATH est également présente auprès des victimes de l’amiante, qui sont confrontées non pas à des laboratoires pharmaceutiques, mais à des grandes entreprises, tout aussi puissantes et écrasantes dans les procédures judiciaires. 

Le partenariat concerne aujourd’hui une quinzaine de procédures DES en cours. 

Me FELISSI, avocat intervenant auprès de la FNATH

Concernant l’Action de groupe 

Définition: comment faire pour qu’un jugement reconnaissant un dommage, une responsabilité, profite à toutes les autres personnes qui subissent le même dommage ou cherchent à faire reconnaître la même responsabilité sans qu’elles aient à refaire tout le parcours judiciaire et juridique du premier plaignant ? 

De façon plus imagée : imaginons un terrain en friches : si une personne parvenait à traverser ce terrain en le défrichant, « l’action de groupe » permettrait aux autres personnes se trouvant sur ce même terrain de prendre le chemin alors dégagé sans être obligées de faire leur propre chemin… 

Certes, en France, il existe des décisions de principe, comme celle de l’an dernier. Mais en matière de procédure touchant à la santé publique, on se trouve confronté à des laboratoires puissants et disposant de moyens financiers suffisants leur permettant de s’offrir les services des avocats les plus brillants qui n’hésiteront pas à faire traîner les procédures en usant de tous les délais et de tous les recours possibles. 

Il s’agit de dossiers opposant des parties dont les moyens financiers sont largement disproportionnés. A cela s’ajoute l’état de fragilité dans lequel se trouve la plaignante. 

L’Action de Groupe avait déjà fait l’objet d’un projet de loi en janvier 2005. Il portait sur les litiges liés à la consommation. Mais la pression des grands groupes a été telle que le gouvernement avait retiré son projet de loi rapidement. 

Auditionné par les parlementaires lors de l’Affaire du Médiator®, la FNATH a été interrogée sur l’opportunité de cette « action de groupe ». A cette occasion, elle a repris le précédent projet de loi, en l’adaptant aux litiges liés à la santé publique. Il a été adopté par le Sénat. C’était la première fois, en France, que le projet de l’Action de groupe était allé si loin… 

Il s’agissait, pour une personne qui avait connu un problème lié à la prise d’un médicament, qui subissait donc un dommage et qui en demandait réparation, de se faire assister par une association agréée de santé bénéficiant d’une représentation nationale. Si cette association acceptait de porter le dossier devant les tribunaux, que ceux-ci rendaient un jugement favorable à la victime, reconnaissant donc le préjudice comme étant la conséquence de la prise dudit médicament et condamnant le laboratoire à l’indemniser, alors, toutes les autres personnes subissant le même préjudice suite à la prise de ce même médicament, auraient pu simplement demander aux tribunaux de se pencher sur l’indemnisation. Elles n’auraient pas eu à se préoccuper, notamment, du lien de causalité. 

Par ailleurs, le projet prévoyait également, en cas de jugement favorable à la victime, une obligation pour le laboratoire de le publier. 

Enfin, était également inscrite l’obligation, pour le laboratoire, de proposer une offre d’indemnisation de la victime, avant même toute procédure. En cas de désaccord sur cette offre, le juge aurait tranché. 

Ce projet ne peut pas être assimilé à l’action de groupe à l’américaine, mais il présente l’avantage d’être dissuasif à l’encontre des laboratoires. 

Le projet ayant été accepté par le Sénat, une majorité nouvelle permettrait peut-être de faire aboutir définitivement l’action de groupe à laquelle nous aspirons, sous une forme ou une autre. 

A propos de l’arrêt de la Cour de Cassation du 6 octobre 2011 

La Cour de Cassation a donc rendu un arrêt défavorable à la plaignante, qui n’avait réussi ni à établir le lien de causalité entre son exposition au DES et sa malformation (utérus bicorne responsable d’une série de fausses couches), ni à obtenir une expertise judiciaire. 

L’arrêt repose donc sur une absence de preuve de l’exposition à ce médicament et également sur le type de pathologie de la plaignante, pathologie fréquente, dont les causes peuvent être le résultat d’autres facteurs que la simple exposition au DES. 

Il est rare, dans la jurisprudence, de lire un arrêt aussi pur en droit. Sa construction est claire : 

  • il reprend la littérature médicale sur le sujet 
  • il définit le type de pathologie dont souffre la plaignante: est-ce une «pathologie signature » ou non ? Autrement dit : cette pathologie est-elle caractéristique de l’exposition au DES ou peut-elle s’expliquer par d’autres facteurs ? Or, si l’on souffre d’une pathologie dite de signature, il sera moins difficile pour la plaignante d’apporter la preuve de son exposition. Dans le cas contraire, la preuve est difficile à apporter.
    Dans le cas d’espèce, l’arrêt précise que « l’exposition in utero de Mme X… ne saurait être présumée du fait de sa malformation utérine (utérus bicorne), laquelle constitue, selon la littérature médicale produite, l’anomalie utérine la plus fréquente, que cette malformation pouvait notamment expliquer, toujours selon la même littérature, le fait qu’elle eût connu, sur un parcours particulièrement fécond (huit grossesses), des fausses couches, des grossesses à risques avec cerclages, des accouchements prématurés avec grossesse gémellaire, puis que tous les aléas de grossesse par elle invoqués étaient susceptibles d’avoir d’autres causes indépendantes de l’administration d’une hormone de synthèse, la cour d’appel appréciant souverainement, sans encourir les reproches allégués, les pièces versées au débat et l’absence d’opportunité d’une expertise, en a déduit que Mme X… ne faisait pas la preuve, qui lui incombait, dès lors qu’il n’était pas établi que le diéthylstilbestrol fût la seule cause possible de la pathologie dont elle souffrait, de ce qu’elle y avait été exposée in utero ; que le deuxième moyen n’est fondé en aucune de ses branches et que le troisième est inopérant ; ».
    Par ailleurs, la plaignante produisait simplement, pour preuve de son exposition au DES, une attestation établie par sa mère. Cette attestation a été considérée par la Cour d’Appel comme un élément de force peu probante compte tenu du lien de parenté avec la demanderesse. La Cour de Cassation a confirmé cette analyse.
    Il y avait également des attestations émanant de médecins. Compte tenu des dates de ces attestations proches de la date de l’assignation, il a été considéré que ces écrits n’étaient que de simples déclarations reprenant les propos de la plaignante.
    D’où l’importance d’étudier attentivement le dossier et faire en sorte que celui-ci se présente le mieux possible pour, dans un premier temps, obtenir une expertise. Une fois celle-ci faite, le chemin est déjà bien avancé !
    Aux U.S.A., la procédure est accusatoire. Chacun apporte sa preuve. D’où le raisonnement par élimination. En France, la logique est plutôt inquisitoire, c’est le juge qui instruit. Chaque élément avancé par l’une ou l’autre des parties adverses doit être prouvé positivement.
    Une autre différence oppose les 2 systèmes. En effet, aux U.S.A., la condamnation au civil a un caractère punitif. C’est-à-dire que les indemnités obtenues au civil visent à « punir » et à dissuader. Chez nous, les dommages et intérêts réparent simplement le préjudice. Les sommes peuvent alors paraître peu significatives par rapport à celles allouées aux U.S.A.. 

En France, il n’y a pas de logique de « précédent ». Pour chaque dossier, le tribunal juge tout, même s’il y a déjà eu un jugement rendu dans une affaire présentant le même préjudice lié à la même cause… 

Concernant la consolidation 

La consolidation est l’état qu’aucun nouveau soin ne pourrait améliorer. C’est l’état dans lequel se trouve la victime après qu’elle a essayé toutes les stratégies thérapeutiques qui auraient pu améliorer son état. A compter de cette date, s’écoule le « temps de l’oubli ». Le nombre d’années est de 10 et non plus de 30. Au terme de ces 10 ans, le temps de l’oubli profite à celui qui a causé cet état. Aucune action judiciaire ne pourra alors être engagée. 

Cette notion de consolidation est toujours difficile à établir dans les dossiers, d’autant que la date diffère selon l’histoire de chacun… 

Un arrêt de la Cour de Cassation a été rendu le 3 novembre 2011, dans un dossier Distilbène, apportant quelques précisions sur la notion de consolidation et la détermination de la date de celle-ci.

Le cas d’espèce concernait une femme souffrant d’un cancer A.C.C.. Elle subissait en 1991 une ablation qui lui enlevait toute chance de procréation. Elle décidait par la suite d’engager une procédure contre le laboratoire, son cancer étant lié à son exposition au DES. Ses parents et son mari se sont joints à cette procédure en 2008. Pour la victime, la date de consolidation a été fixée à l’année 2007, mais la Cour d’Appel a considéré que, pour les parents et le mari, il y avait prescription, car elle n’a pas retenu les mêmes dates de consolidation. Elle a estimé que, dès 1991, les parents avaient connaissance de sa maladie et donc des séquelles physiques et psychologiques qui ont provoqué leur préjudice. La Cour retenait donc la découverte de la maladie et la date de l’opération comme étant la date de consolidation pour les parents. Quant au mari, la Cour a estimé qu’au jour du mariage il savait l’impossibilité pour son épouse de procréer. En conséquence, la date de consolidation retenue était celle de son mariage. Dans les deux cas, les 10 ans étaient passés. 

On constate, donc, que le point de départ retenu par la Cour d’Appel saisie pour cette affaire, n’est pas le même pour les parties concernées, pourtant touchées par la même histoire. 

La Cour de Cassation n’a pas suivi le même raisonnement. Elle a rejeté l’arrêt de la Cour d’Appel en affirmant que le préjudice par ricochets (ou préjudice indirect) subi par les proches de la victime directe se manifestait dans toute son étendue, comme la victime directe, à compter de la consolidation de cette dernière. 

Ce principe posé est essentiel. 

Concernant la notion de l’aggravation de l’état

A partir du moment où l’état de la victime est consolidé, on peut mesurer en droit le 

préjudice subi. On passe alors du fait au dommage, et à l’indemnisation. 

Le dommage étant une atteinte au corps qui est considéré par le droit, comme inviolable, il doit être indemnisé. Pour cela, on se base sur les incidences de ce dommage sur la vie professionnelle, sur la notion de douleur, l’aspect esthétique…etc… 

Mais si pour la même pathologie la victime subit une aggravation de son état, cette aggravation entraîne de nouveaux préjudices. Elle peut donc demander aux tribunaux de se prononcer sur une indemnisation supplémentaire, compte tenu de ce nouveau préjudice. (exemple : une personne subit une amputation d’une phalange suite à une infection nosocomiale, elle est d’abord indemnisée au titre du préjudice subi suite à cette amputation. Si, par la suite, une 2èmephalange doit lui être enlevée en raison des complications de la maladie ayant justifié la première amputation, il est normal que ce nouveau dommage, nouvelle atteinte à son corps, fasse l’objet d’une nouvelle indemnisation.) 

Stéphane Vallégeas rappelle que le site de Réseau D.E.S. France fournit bon nombre d’informations juridiques, notamment sur les différentes décisions rendues dans le cadre du scandale du Distilbène®. Il publie également le témoignage de cette jeune femme condamnée en appel en 2011 à rembourser l’indemnisation qui lui avait été octroyée en première instance. La plus forte indemnisation a été accordée à Louis, enfant né prématurément du fait de l’exposition in utero de sa mère, et souffrant, de séquelles telles, qu’aujourd’hui, il est handicapé à 80 %. Cette indemnisation de 1,7 millions d’euros paraît conséquente, elle n’est pourtant pas suffisante, car Louis ne peut, seul, assumer son quotidien et ne le pourra jamais. 

Questions Débat 

Une «fille DES» ayant souffert d’un cancer du sein peut-elle engager une procédure en France ? 

Michel Tournaire, Professeur en médecine : 

Plusieurs études sont en cours sur le sujet du lien entre le cancer du sein et l’exposition in utero au Distilbène®. Si, aux Etats-Unis, certaines études semblent reconnaître ce lien, en Europe, il ne semble pas aussi évident. Nous sommes donc dans un flou médical, et n’avons pas encore de réponse précise sur le sujet. 

Les 3 études publiées aujourd’hui : 

  • pour celle de 2006, dirigée aux USA, notons que, contrairement au risque de cancer A.C.C. et aux risques pour la reproduction, pour lesquels seule la date de la prise du DES comptait en vue d’établir le lien avec le cancer du sein, les scientifiques ont pris en compte la dose totale de DES ingérée. Aussi ont-ils constaté que, pour les femmes de plus de 40 ans qui ont été exposées à de fortes doses de DES, le nombre d’entre elles ayant contracté un cancer du sein est significativement plus important que pour celles n’ayant pas été exposées à ce médicament. En revanche, les femmes de plus de 40 ans ayant été exposées à de faibles doses de DES n’ont pas plus de risques de souffrir d’un cancer du sein que celles qui n’ont jamais été exposées. 
  • pour l’étude faite en Hollande en 2010, les chercheurs ont comparé un groupe de femmes DES à la population générale, sans considération des doses prescrites. Il en ressort qu’il n’y a pas plus de cancers chez le groupe de « femmes DES ». 
  • Avec d’autres scientifiques, nous avons souhaité orienter nos recherches sur les doses prescrites en France. Nous avons retrouvé, à partir de documents regroupés pour l’étude MGEN en 1981, des informations précises, dont il résulte que les doses prescrites en France étaient inférieures à celles données aux USA. Cette étude va être très prochainement publiée dans l’European Journal of Epidemiology. On peut alors espérer, si l’on se base sur ce critère de dose, que le risque de cancer du sein lié à l’exposition au DES serait inférieur en France qu’aux USA.
    Anne Levadou, présidente de l’association Réseau D.E.S. France :
    Nous espérons, en France, pouvoir mener une étude sur les conséquences de l’exposition in utero au DES et précisément évaluer ce risque de cancer du sein. 

Me Felissi : 

Juridiquement, il est difficile de répondre sans voir plus précisément le dossier. Si l’on se réfère à l’arrêt de la Cour de Cassation du 6 octobre 2011, le cancer du sein n’étant pas une « pathologie signature » de l’exposition in utero au DES, il sera difficile d’établir le lien entre ce cancer et le DES. Si l’on se réfère à la littérature médicale sur le sujet, on pourrait faire état de l‘étude américaine selon laquelle les femmes exposées à de fortes doses présentent plus de risques à contracter un cancer du sein que celles qui n’ont pas été exposées. Mais le résultat de cette étude est atténué par celui des 2 autres. 

Si l’on peut toutefois apporter la preuve que cette femme a été exposée à de fortes doses, cela peut justifier l’ouverture d’un dossier. 

Une fois de plus, chaque dossier est différent et selon le type de preuve que l’on peut présenter, les chances que le dossier soit défendable sont variables. 

Stéphane Vallégeas : 

Rappelons enfin, que juridiquement, le lien de causalité entre l’exposition au DES et le cancer A.C.C. n’a été établi qu’après plusieurs années de procédure. Il est à craindre que celui avec le cancer du sein prenne tout autant de temps, voire davantage… 

Sur ce sujet du lien de causalité, nous vous invitons à lire l’article du Dr Jean-Marie COHEN édité sur le site internet, dans l’onglet juridique. 

Peut-on envisager de constituer un dossier en l’absence d’ordonnances ? 

Me Felissi : 

C’est plus difficile, mais tout dépend de la pathologie. Si celle-ci est une « pathologie signature », ce peut ne pas être un obstacle. 

Mais nous savons aussi que, dans l’affaire évoquée tantôt, les attestations établies par la mère de la plaignante et par les médecins n’ont pas été retenues par la juridiction suprême comme ayant une force probante suffisante. 

Le fait d’avoir ces ordonnances est un atout majeur. 

Mais en dehors de ces documents sources, il y a également le dossier médical, le dossier de l’accouchement, une attestation du médecin prescripteur, un extrait du dossier médical tenu par ce dernier… Cependant, compte tenu des dates, il est de moins en moins évident de retrouver ces pièces. 

Nathalie Lafaye : 

La maman de Louis a retrouvé son dossier médical 45 ans plus tard. Mais elle conseille de se déplacer auprès du service de relations avec les usagers de l’hôpital. 

Sur le site internet, nous avons mentionné quelques conseils pour retrouver ces traces écrites sur la prescription du DES, notamment le témoignage d’une maman qui avait retrouvé la trace de l’exposition au DES dans le dossier de l’ophtalmologiste,qui, devant opérer sa fille alors qu’elle était petite, l’avait interrogée, à l’époque, sur les médicaments pris pendant la grossesse. 

Me Felissi : 

Sans les ordonnances, ou documents sources, sauf échec assuré, la décision dépend du client après qu’il eut été éclairé par son conseil. La décision est prise dans l’intimité du cabinet de l’avocat. 

Il est essentiel que la personne ait connaissance des risques liés à ce procès, pécuniaires et psychologiques. L’expertise et le procès sont deux véritables épreuves. 

Deux conditions pour mener à bien cette procédure : être psychologiquement prêt et pouvoir faire face aux frais engagés. 

Peut-on éviter une procédure en obtenant auprès des laboratoires une transaction ? 

Anne Levadou : 

Il y a, effectivement, quelques cas de dossiers qui ont débouché sur une négociation. 

Mais cela n’ est envisageable que lorsque le dossier est suffisamment solide pour que le laboratoire ait un risque maximal de se voir condamner par les tribunaux. 

Par ailleurs, les laboratoires subissent la pression de leurs compagnies d’assurance. 

Car, au final, ce sont ces compagnies qui règlent les indemnités. Elles apparaissent même plus « féroces » que les laboratoires eux-mêmes devant les tribunaux. 

Le préjudice d’anxiété a-t-il été reconnu par les tribunaux aux termes des jugements et arrêts rendus jusqu’alors ? 

Nathalie Lafaye : 

Pour une seule jeune femme, Catherine, décédée avant même de connaître les termes de son jugement, les juges ont retenu un préjudice complémentaire lié à la contamination par le Distilbène, c’est à dire lié à l’angoisse de voir son état s’aggraver en raison de son exposition au DES et de la pathologie que celui-ci lui a fait subir. Mais la Cour d’Appel n’avait pas retenu ce préjudice spécifique de contamination dans les autres dossiers de cancer ACC qu’elle avait eu à juger, en dépit du fait que les « filles DES » ont ce point commun de, toutes, vivre avec ce sentiment d’avoir une épée de Damoclès sur la tête. 

Arnaud de Broca : 

Toutefois, la notion de « préjudice d’anxiété » est une notion nouvelle. Elle est apparue dans les dossiers ouverts suite au scandale de l’amiante, puis dans les dossiers du domaine du nucléaire dans des jurisprudences récentes. 

Me Felissi : 

Ce préjudice avait été demandé dans les dossiers liés à l’Affaire du Médiator®, mais il n’a pas été retenu dans le cadre du fonds d’indemnisation. 

Pour que ce préjudice soit retenu, plusieurs critères doivent être respectés. 

Dans le cadre des procédures Distilbène®, les critères sont, pour la plupart des dossiers, remplis, et ce préjudice pourrait être demandé. 

Il est, toutefois, utile de préciser que le montant de sa réparation ne sera pas des plus importants, mais la condamnation des laboratoires à ce titre pourrait être une vraie consolation pour les victimes. 

Existe-t-il un registre répertoriant les victimes connues du Distilbène®

Pr Tournaire : 

Non, aucun registre de qualité n’est envisageable, compte tenu de la complexité que sa mise en place exigerait. Pourtant, il est évident qu’il serait utile. 

Aujourd’hui, le chiffre de 160 000 victimes est une estimation, mais ne résulte pas d’un recensement. 

La réunion s’achève vers 20h30.