Actualités

Deux chroniques de Marie, sur son “parcours DES”

30 mars 2013

Durant plusieurs années, Marie a écrit des chroniques, destinées à être publiées dans notre journal trimestriel La Lettre

Dans le numéro 43, d’avril 2014 :

Tous mes bébés sont nés prématurés, tous à cause du Distilbène. Comme à chaque fois que je parle naissance et accouchement dans le cadre de notre association, je pense aux femmes qui n’ont pas eu cette joie. Je pense aussi que ce lieu de parole et de confiance qu’est notre Lettre (comme nos forums) nous permet justement d’aborder tous les sujets, sans ressentiment. J’avais donc envie de témoigner aussi sur la péridurale, dans notre cadre particulier du Distilbène.

Lors de la naissance de mon aîné, l’équipe médicale m’a imposé la péridurale sous prétexte que justement, âgé d’un peu moins de sept mois, il serait trop fragile pour supporter un accouchement naturel. Je n’ai toujours pas bien compris le lien entre prématurité et l’ «obligation» de la péridurale. Au contraire, il me semblait que cette péridurale, posée très tôt, ralentissait les contractions et donc fatiguait le bébé. Mon accouchement a duré 12 heures. J’ai somnolé tout le temps du travail. Je n’ai rien senti de la naissance elle-même. On m’a posé le bébé sur le ventre, rapidement, pour me faire plaisir ; il était de dos et je n’ai pas pu le voir, on n’avait pas le temps de le retourner. il a immédiatement été «emboîté», intubé, et emporté loin de moi dans sa couveuse. On m’a dit que c’était un garçon. 

Pour la naissance de mon second enfant, des complications, liées également à la prématurité, ont rendu nécessaire une anesthésie générale. Il me manquera toujours les premières heures de la vie de ma fille. Heureusement, le père était avec elle. Un mois de couveuse, des difficultés pour elle et pour moi, et des désaccords avec l’équipe de néonat’. J’étais plus combative, c’était mon deuxième prématuré, je «discutais» davantage et ça n’a peut-être pas aidé les choses – mais moi ça m’a fait du bien, de sortir de la passivité. 

Ma troisième grossesse s’est terminée en fausse couche, juste avant le cerclage programmé. Douleur morale, grande douleur physique aussi, dont on parle finalement peu. Seule chez soi, dans le sang, dans les restes d’un bébé : cet avenir annulé, réduit à de l’organique pur. L’horreur, en fait. L’expérience de l’horreur.

Mais s’agissant de mon troisième enfant (donc de ma quatrième grossesse), pour la première fois j’ai franchi le cap des huit mois : le bébé était viable, il échapperait à la couveuse. De le savoir, c’était déjà une joie immense. À cette époque, mon ami Atiq Rahimi a reçu le prix Goncourt. Une fête était organisée au New Morning. Mon obstétricien m’a donné la permission de me lever, après six mois d’allongement strict.

(J’aurai passé, en tout, un an et demi de ma vie allongée pour mes grossesses.) 

Une flûte de champagne, une salsa, et j’ai perdu les eaux sur les chaussures de mon danseur. Succès assuré ! Tout le monde était très gai, on m’a trouvé un taxi sympathique, et je suis arrivée à l’hôpital pomponnée dans ma robe de soirée. Les premières contractions ont été comme des coups de poing. J’avais oublié ce surgissement de la douleur, même si c’est une douleur positive, qui annonce la vie. J’ai commencé à perdre haleine malgré l’aide appréciable d’un masque à oxygène. Pourtant je voulais savoir – quoi je ne sais pas – peut- être savoir ce qu’avaient vécu les mères avant moi, et la plupart des mères encore sur la planète aujourd’hui. 

Au bout de quelques heures, je suis parvenue au bord d’une douleur que je pressentais immense. Je ne voulais pas qu’elle gâche le souvenir joyeux de cette naissance. Je ne voulais pas d’une douleur abjecte, où je perdrais non seulement pied mais où je me perdrais moi. J’ai demandé une anesthésie locale. Elle a diminué la douleur, érodé les crêtes. J’ai senti le bébé descendre, passer. C’était extraordinaire. J’ai pu sentir ce fort signal physique qui prélude à la mise au monde. 

Il existe aujourd’hui de petites pompes que les femmes actionnent à leur guise, pour doser l’administration du produit anesthésiant lors des contractions. Ce choix laissé aux femmes est fondamental. On leur offre la possibilité de surfer sur la douleur, de garder le cap sans s’abîmer dans la souffrance. la revendication de certaines féministes qui disent que la péridurale est une invention masculine pour nous déposséder d’une expérience que n’auront jamais les hommes, voilà qui me semble absurde. Si les hommes avaient eu à souffrir autant, la péridurale aurait été inventée dès les premières expériences sur la cocaïne. De cette douleur de l’accouchement, ma solide grand-mère me disait : «je préfèrerais me faire à nouveau arracher les dents à vif que la revivre…». 

La péridurale est une chance et un soulagement. Elle est d’ailleurs, aujourd’hui en France, un droit. Elle permet précisément de ne pas être dépossédée de son accouchement, et d’éviter la dépersonnalisation, très traumatisante. Évidemment il ne faut pas doser le produit trop lourdement… 

Dans le numéro 42, de novembre 2013 :

Ma dernière grossesse, une grossesse distilbène, allongée strictement, se passait en été. 

C’était la première fois : les trois premières (dont deux ont donné naissance à un enfant), c’était toujours l’automne, l’hiver, et le printemps. C’est moins difficile, je trouve, d’être allongée l’hiver. La pluie aux vitres et le froid dehors allègent un peu la frustration de devoir rester chez soi. On accepte mieux d’être au lit quand les marmottes elles-mêmes hibernent. 

Mais l’été… 

Un arbre m’a sauvée. J’ai obtenu la permission d’être transportée jusque dans la maison des parents de mon mari, dans l’Essonne, en banlieue parisienne, à une demi-heure de voiture de chez moi. Une demi-heure de voiture que nous avons faite en croisant les doigts… Le risque en valait la peine : dans ce petit jardin de banlieue, l’été est passé plus en douceur qu’enfermée dans mon appartement. Un arbre gigantesque domine ce jardin. Mon matelas, bien à plat, était posé dessous, et j’ai passé l’été à rêver de branche à branche, d’oiseau en oiseau, de nuage en nuage. «Des journées entières dans les arbres», disait Marguerite Duras : je comprenais ce qu’elle voulait dire. Ma fille est née comme issue de cet arbre, et depuis je le regarde, plus que centenaire, avec comme un amour familial.

Marie Darrieussecq