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Retour sur des récentes décisions de la Cour de cassation

20 avril 2020

Lors de notre Assemblée Générale du 1er février, Tifenn nous a présenté deux arrêts importants. L’un d’eux a été publié au Bulletin, ce qui accroît son poids en termes de jurisprudence. La jurisprudence est l’une des sources du droit, composée de l’interprétation des lois par les tribunaux. Néanmoins il faut garder à l’esprit qu’elle s’établit à partir de dossiers précis, c’est pourquoi les décisions rendues ne sont pas toutes transposables à toutes les situations.

1ère décision, sur la prise en compte du congé maternité « distilbène » en cas de licenciement

Tifenn rappelle que cet arrêt spécifique est le résultat des démarches entamées par l’association et le résultat de ses efforts !

Cour de cassation du 15 janvier 2020, non publié au bulletin

« La cour d’appel, qui a constaté que la salariée avait bénéficié, en raison de son exposition in utero au diéthylstilbestrol, d’un congé de maternité à compter du 3 janvier 2015 ainsi qu’il ressort d’une attestation de la CPAM de la Mayenne, et que l’employeur avait eu connaissance, avant la notification du licenciement, des arrêts de travail au titre d’une grossesse pathologique liée à cette exposition et du congé de maternité en résultant, a, par ces seuls motifs, justifié sa décision annulant son licenciement. »

La Cour de Cassation a confirmé que l’arrêt maternité spécifique aux « filles DES », est un arrêt maternité à part entière : par conséquent et tout naturellement, il protège les femmes d’un licenciement durant cette période.

2ème décision, du Distilbène dans la survenue du dommage

Cour de cassation du 19 juin 2019, publié au bulletin*

« Lorsqu’il n’est pas établi que le diéthylstilbestrol DES est la seule cause possible des pathologies présentées par la requérante, la preuve d’une exposition in utero à cette molécule puis celle de l’imputabilité du dommage à cette exposition peuvent être apportées par tout moyen, et notamment par des présomptions graves, précises et concordantes, sans qu’il puisse être exigé que les pathologies aient été exclusivement causées par cette exposition. »

C’est un dossier qui a été perdu en 1ère instance, puis en appel, avant d’être soumis à la Cour de Cassation.

La plaignante est porteuse de plusieurs anomalies utérines : une cloison, une hypoplasie et des anomalies de vascularisation. Elle a subi une hystéroplastie d’agrandissement en 2009 et obtenu, après 9 fausses couches et 2 FIV, une grossesse gémellaire menée à terme, mais pendant laquelle elle a été alitée.

Elle a été suivie par le Pr X, qui avait conclu à l’existence d’un utérus hypoplasique présentant l’aspect d’un utérus DES. Elle n’a pas pu rapporter de preuve de la prescription de DES pour la grossesse dont elle est issue, mais sa mère a retrouvé une ordonnance correspondant à la grossesse de son frère aîné et a attesté avoir été traitée avec du Distilbène pour ses deux grossesses.

Les experts médicaux nommés par le Tribunal ont précisé que la cloison n’était pas liée au DES, mais ne se sont pas prononcés pour l’aspect hypoplasique de l’utérus ni pour les problèmes de vascularisation. Ils n’ont pas répondu à un Dire d’UCB Pharma qui demandait que le DES soit exclu comme cause de ces deux autres malformations utérines.

Or, la Cour d’Appel a exclu le rôle du DES dans l’ensemble des anomalies présentées par la plaignante, ce qui revient à dénaturer le rapport des experts. C’est sur ce point-là que la plaignante a obtenu la cassation. Maintenant le dossier est renvoyé devant d’autres juges de la Cour d’Appel, pour être à nouveau jugé.

* Il s’agit des arrêts publiés par la Cour de cassation dans un recueil. Via ce système, la Cour indique que les arrêts mentionnés sont importants.

Echanges avec les participants

La présentation de ces décisions a suscité des interrogations, des réactions, des témoignages.

Quels sont les délais pour agir ? 30 ans ?

Absolument pas. En ce qui concerne les demandes de réparations en matière civile, le délai est de 10 ans à compter de la « consolidation » (lorsque la médecine considère que la situation de la personne ne pourra plus évoluer). C’est une date qui est définie dossier par dossier. Le délai de prescription s’arrête dès lors qu’on intente une procédure.

Il faut que la cour se prononce de manière claire sur le rôle causal du DES dans l’hypoplasie utérine, c’est cela ?

Soit la Cour d’Appel considère qu’elle a suffisamment d’éléments pour répondre en suivant la Cour de Cassation, et elle reconnaît la victime, soit elle maintient sa position et le dossier pourrait à nouveau être soumis à la Cour de Cassation, cette fois-ci en assemblée plénière.

Une nouvelle expertise peut-elle être demandée en Cour d’Appel ?

Oui, une nouvelle expertise peut être ordonnée, car il y a des échanges entre les parties en Cour d’Appel. Peut-être d’UCB Pharma obtiendra des réponses à ses Dires.

Il faut donc être prudents avec cet arrêt de la Cour de Cassation, car même s’il peut faire jurisprudence, vous voyez qu’il s’appuie sur une situation bien particulière. Tous les dossiers ne pourront pas s’y référer…

Mais c’est interminable !

Oui, ce sont des parcours de plus de 10, 12 ans…

Tifenn témoigne :

La réparation ne se réalise pas forcément grâce à un jugement. On peut avoir une réparation autrement, notamment dans toutes les autres actions que nous menons au sein de l’association. Le fait d’être reconnue comme étant une « fille DES », c’est déjà une réparation. Je comprends le combat judiciaire, je l’ai mené moi- même, mais l’issue de mon procès n’est pas ce qui m’a donné la plus grande réparation.

Tout est fait pour impressionner les victimes…

On a en face des laboratoires très puissants avec des moyens financiers très importants. La victime prend en charge les frais de son avocat, du médecin- conseil qui l’accompagne, ce qui est déjà un vrai investissement. La partie adverse est, elle, présente avec 3 ou 4 avocats, au moins 2 médecins-conseil.

Le sujet du Levothyrox est abordé

Dans la salle : « Je me suis lancée dans une action de groupe contre le laboratoire Merck, dans l’affaire du Levothyrox. Même en étant des milliers on a été débouté, on est quasiment sûrs de perdre ! Dans cette situation, le rapport de force est particulièrement inégal, le lobbying est terriblement fort. »

Tifenn : concernant le Levothyrox, je crains que l’action en justice n’ait été lancée trop vite ; le délai de prescription au-delà duquel on ne peut plus s’adresser aux tribunaux était loin d’être atteint. L’important est que des études scientifiques apportent les preuves du lien entre le dommage et le médicament, sinon aucun dossier ne peut aboutir en faveur des victimes.

Nathalie : la Directive Européenne sur la responsabilité sans faute en cas de produit défectueux, si défavorable aux victimes, s’applique pour le Levothyrox. Par exemple, dès lors qu’un effet indésirable figure dans la notice, la Directive considère que le produit n’est pas défectueux car la personne était informée de la possibilité de vivre cet effet indésirable. En conséquence, la responsabilité du laboratoire n’est pas retenue par les tribunaux… Cette Directive de 1985 ne s’applique pas au DES : les prescriptions aux femmes enceintes avaient déjà eu lieu. Mais nous nous mobilisons au sein de Réseau D.E.S. France, en coopération avec d’autres associations et collectifs (Europe et Médicament, mais aussi France Assos Santé) pour tenter d’obtenir l’exclusion des médicaments de cette Directive.